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Tribune des alumni dans le Monde : « "Bifurquer", les élèves d'AgroParisTech l'ont toujours fait »

01 juin 2022 Association
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« “Bifurquer”, les élèves d’AgroParisTech l’ont toujours fait »

 

Beaucoup d’anciens étudiants de l’école parisienne ont été heurtés par l’appel des « déserteurs » lors de leur remise de diplôme, affirme, dans une tribune au « Monde », Anne Gouyon, présidente du conseil d’administration d’AgroParisTech Alumni. Des milliers d’« Agros » œuvrent déjà à « inventer un développement durable digne de ce nom », assure-t-elle.

 

 

« Déserter » des métiers « destructeurs », « bifurquer » loin de l’agro-industrie et du greenwashing : l’appel de huit étudiants d’AgroParisTech, lors de la remise de diplômes, cumule des millions de vues. Stupeur chez les « Agros ». On débat, on s’enflamme, pour se retrouver autour d’une envie : défendre, expliquer nos métiers fondés sur les sciences du vivant. La vie reste notre seule source durable d’aliments, d’énergie, de beauté et de diversité – et notre seul espoir de stabiliser le climat. L’avenir a besoin d’ingénieurs formés à la complexité, la fragilité et la puissance du vivant. Agros, c’est le moment de s’unir pour mobiliser nos savoirs, et prendre plus de pouvoir pour un avenir vivable.

Cet avenir, les 406 nouveaux diplômés d’AgroParisTech, dont 60 % de femmes, sont prêts à le construire. S’ils ont applaudi les « déserteurs » dont ils partagent les craintes, ils sont aussi montés sur scène pour célébrer leurs études, comme en témoigne la vidéo complète de la cérémonie de remise des diplômes à la salle Gaveau.


L’une dit avoir acquis « une vision large et systémique, pour répondre à des enjeux complexes », un autre s’est passionné pour les systèmes agricoles, « levier puissant pour apporter des solutions cohérentes aux dérèglements environnementaux et sociaux ». Ils saluent des professeurs « passionnés et passionnants », et les milliers d’agriculteurs rencontrés en Auvergne, au Cambodge et ailleurs, malgré le poids des confinements. Rebelles ou enthousiastes, leur diversité montre qu’AgroParisTech enseigne la diversité des sciences du vivant en laissant chacun libre de ses choix.

 

Plafond de verre
« Bifurquer », les Agros l’ont toujours fait. Depuis la création de l’Ecole d’agronomie de Grignon [ancêtre d’AgroParisTech], en 1826, leur formation, systémique par nature, irrigue tous les secteurs : agriculture, alimentation, forêt, océans, environnement, énergies, santé, finances, informatique, enseignement et recherche. Comme le montre l’enquête nationale 2021 de la Société des ingénieurs et scientifiques de France, un tiers des Agros travaillent dans le secteur public et associatif, y compris dans les pays du Sud, inspirés en cela par l’agronome et écologiste précurseur René Dumont (1904-2001). Ils créent des fermes, des start-up engagées. Leur annuaire compte des généticiennes et des éleveurs d’éléphants, des chimistes et des journalistes, des diplomates et des investisseurs, des syndicalistes et des vigneronnes, et même, parfois, des ministres et des PDG.


Les Agros se heurteraient-il à un plafond de verre ? Ils fournissent des bataillons de cadres : sur 75 000 ingénieurs du vivant, plus de 25 000 sont issus d’AgroParisTech, quatrième école mondiale dans son domaine, intégrée à l’université Paris-Saclay. Ils sont pourtant rares au sommet, même dans leurs secteurs de prédilection. Avant l’ancien ministre de l’agriculture et de l’alimentation, Julien Denormandie (2020-2022), il faut remonter quarante ans en arrière pour trouver un autre Agro, Pierre Méhaignerie [ancien élève de l’Ecole nationale supérieure agronomique de Rennes], à la tête du ministère de l’agriculture (1977-1981). Aucun ingénieur agro n’est présent parmi les PDG du CAC 40, pas même chez Danone, Carrefour, Pernod-Ricard, Sanofi, Veolia, ni au Crédit agricole.

 

Révolution agricole
Risquons une hypothèse : leur absence correspond à un désintérêt pour l’agriculture et les sciences de la vie. La révolution des « trente glorieuses » a utilisé les mathématiques et la physique pour bâtir une France industrielle, avec les ingénieurs de Polytechnique, des Mines et des Ponts. L’ère de la finance a propulsé les MBA, et la révolution numérique retrouve les mathématiques. En 2019, les sciences du vivant deviennent facultatives au lycée. Pourtant, le décollage de l’industrie doit tout aux transformations opérées dans l’agriculture, sans lesquelles les Français consacreraient encore la moitié de leur budget à l’alimentation. La révolution industrielle a d’abord été une révolution agricole.


« Ce système est à bout de souffle », clament les Agros « déserteurs ». Qui oserait nier la multiplication de crises systémiques ? Instrumentalisée à l’excès, la nature lâche l’humanité. La toute-puissance industrielle vacille face au retour des épidémies, des inondations, des pénuries alimentaires. Un cycle se termine, un autre modèle est à trouver, en réapprenant à travailler avec le vivant. C’est ce que font déjà des milliers d’Agros, œuvrant à régénérer les sols et les forêts, réduire l’usage des pesticides, produire des aliments sains et accessibles, inventer un développement durable digne de ce nom.


Beaucoup ont été heurtés par l’appel des « déserteurs », qui ne rend pas justice à leur engagement. Ce buzz est l’occasion idéale pour témoigner de leurs combats, prendre la tête des débats sur l’avenir et le rôle de la connaissance, et susciter plus de vocations pour les sciences de la vie. « La ronce est le berceau du chêne », dit un vieil adage. Ses épines en protègent les jeunes pousses. Sagesse paysanne, qui invite à utiliser les piques des « déserteurs » pour grandir et devenir plus forts, grâce à la magie du vivant.




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